Le Management par le Real Option Reasoning. Quels déterminants ?
Cet article présente les résultats d’un travail de recherche qui pour objectif d’identifier les facteurs explicatifs du recours au raisonnement optionnel, après identification de quatre catégories d’options réelles. En s’appuyant sur une étude empirique, nous montrons que les options peuvent être mises en place de manière complémentaire. La mobilisation de ces options par les décideurs dépend de leur propension à évaluer les projets en termes d’alternatives et du degré d’incertitude de l’environnement. En revanche, la présence d’un horizon temporel fini parait n’exercer qu’une influence limitée.
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La méthode des options réelles consiste à évaluer la création de valeur attachée à un projet stratégique en tenant compte des modifications qui accompagneront peut-être sa mise en œuvre. Cette méthode permet donc de superposer au processus de développement les conséquences des incertitudes et des impondérables de manière générale. Pourtant, même si les options réelles ont été formalisées depuis la fin des années 1970, leur utilisation reste très limitée. Les études font état d’une faible connaissance de ces outils par les décideurs, qui s’explique principalement par la complexité des modèles de valorisation des options.
La littérature identifie quatre catégories d’option réelles :
- Les options de modification : il s’agit du droit de modifier un projet, en y ajoutant ou en y soustrayant des ressources. Entendues au sens large, ces options comprennent le redimensionnement d’un projet mais aussi la possibilité́ pure et simple de l’abandonner.
- Les options de report : il s’agit du droit de reporter le point de départ d’un projet. Ce type d’option présente une valeur en ce qu’il permet de diminuer l’incertitude inhérente au choix d’investissement. Un dirigeant a toujours la possibilité de ne pas effectuer un choix immédiatement.
- Les options de croissance : il s’agit de la possibilité d’utiliser un investissement pour ouvrir de nouvelles possibilités de développement. L’investissement dans l’option s’apparente à un droit de rester en jeu pour savoir si le projet mérite d’être mené plus en avant.
- Les options de séquençage : elles existent lorsque le projet est décomposé en plusieurs étapes ponctuées de jalons, et dont l’issue dépend de la réussite des étapes précédentes. Ces options sont surtout utilisées en R&D pour les choix d’investissement dans de nouveaux prototypes ou de nouvelles technologies. L’intérêt est de pouvoir identifier clairement le moment d’un échec éventuel et de s’assurer des acquis de la dernière étape menée avec succès.
Cependant, si les managers sont réticents à l’utilisation des modèles de valorisation d’option, nombreux sont ceux qui ont intégré la logique optionnelle dans leur manière d’appréhender et de structurer les projets. En fait, les options réelles sont porteuses d’un type de raisonnement, d’une démarche, que les décideurs peuvent adopter sans recourir à leur dimension technique. L’utilisation de ce raisonnement intégrant les grands principes des options réelles a été défini comme le « Real Option Reasoning ».
Le raisonnement optionnel est le fait d’adopter une démarche intuitive de réflexion sur les projets, laquelle accorde une place substantielle à la flexibilité. Un dirigeant peut se montrer sensible au fait de se réserver la possibilité de modifier un projet (option de modification), d’attendre encore avant de trancher (option de report), d’investir dans une nouvelle technologie pour être présent le moment venu (option de croissance), ou de gérer étape par étape le développement d’un projet (option de séquençage). Le raisonnement par options réelles procure donc une image plus étendue du projet en intégrant la capacité des managers à modifier ou optimiser les activités et opérations au fur et à mesure que l’information devient disponible ou que les incertitudes sont levées. Certains auteurs plaident d’ailleurs pour un développement de ce raisonnement optionnel, qui serait un moyen de contrer un biais de traitement asymétrique des échecs et des réussites. Une vision par options réelles permet de considérer l’échec comme partie intégrante du processus stratégique.
La théorie suggère plusieurs facteurs susceptibles de favoriser l’existence d’un real option reasoning.
- La première est que les options réelles peuvent être utilisées par les décideurs comme une démarche de réflexion qui de fait, même si les options peuvent être distinguées les unes des autres, leur ressort commun rend probable une utilisation combinée. En d’autres termes, l’utilisation des différentes options peut être supposée complémentaire.
- La seconde est que les décideurs qui n’ont pas l’habitude de raisonner en termes d’alternatives sur leurs projets adopteront probablement moins un raisonnement de type optionnel. On admet donc que la propension des managers à raisonner en termes d’alternatives sur leurs projets d’investissement est étroitement associée à l’adoption du real option reasoning.
- La troisième est qu’on estime qu’une décision stratégique n’est optionnelle que dans la mesure où le décideur limite son espace temporel de manière à pouvoir comparer un choix avec un autre. En d’autres termes, il faut que le futur soit borné. Sans cette hypothèse, il est difficile de déterminer en quoi un choix peut être meilleur qu’un autre. Par conséquent, la fixation d’un horizon temporel fini est un déterminant à la réflexion en termes d’options.
- La dernière est que l’incertitude environnementale est souvent rattachée à la constitution d’options. Cette incertitude existe dès lors où les acteurs savent que quelque chose peut se réaliser mais pas avec quel degré́ de probabilité. Si aucune incertitude n’existe, les décideurs n’ont qu’une faible incitation à rechercher une flexibilité́ dans leurs décisions. En revanche, lorsque l’environnement est perçu comme changeant, le besoin d’adaptation des décisions, et donc l’utilisation des options, trouve un intérêt pour les managers.
En se basant sur les résultats d’une enquête menée auprès de dirigeants de PME françaises, cet article vise à présenter les résultats d’une recherche[1] portant sur les éléments explicatifs et déterminants de la mise en œuvre d’un raisonnement optionnel, et de contribuer à l’étude du real option reasoning par les managers. Afin de tester les hypothèses, des modèles ont été élaborés et testés selon la méthode seemingly unrelated regressions (SUR). Cette méthode repose sur l’estimation simultanée d’un système d’équations. Elle présente l’intérêt de mener des tests sur les liens entre équations, qu’il s’agisse des corrélations entre les résidus ou des comparaisons entre coefficients.
On en déduit les éléments suivants ; les options (de modification, de report, de croissance, de séquençage) peuvent être considérées comme complémentaires, au sens où leur utilisation demeure corrélée en dépit de la prise en compte des antécédents communs. Par ailleurs, il ressort avec suffisamment de netteté que l’habitude de raisonner sur les projets d’investissement, en termes d’alternatives, a une influence sur l’utilisation de tous les types d’options étudiés.
En revanche, les résultats sont contrastés en termes d’horizon temporel fini. Seules les options de croissance et de séquençage paraissent influencées par ces facteurs. Les options de modifications et de report ne sont pas expliquées par l’horizon temporel.
Enfin, les résultats montrent que l’incertitude a une influence sur trois types d’options conduisant à valider son impact sur celles de modification, de report, et de croissance. En revanche, l’hypothèse d’une influence sur les options de séquençage est rejetée. Ces derniers éléments contredisent la théorie.
En conclusion, cette analyse contribue à la littérature sur trois points :
Premièrement, l’étude confirme la réalité́ d’un real option reasoning chez les managers, qui se conçoit comme la recherche d’une flexibilité́ stratégique dans le développement des projets. Ce type de raisonnement revêt une importance particulière dans la mesure où il est étroitement lié à la manière dont les décideurs gèrent leur attention et attribuent du sens à leurs décisions. Il s’exprime sous la forme d’un intérêt porté à la possibilité́ de modifier, reporter, décomposer un projet, ou y investir avec l’idée que de nouvelles opportunités, non encore aperçues, vont en émerger au fil du temps. Il reste que les différentes options, bien que potentiellement distinctes, apparaissent comme complémentaires. De ce point de vue, les différentes options se renforcent mutuellement.
Deuxièmement, ce résultat a été obtenu sur un échantillon de PME, alors que la littérature antérieure fondait sa réflexion et ses illustrations sur des entreprises de grande taille. Cette littérature pouvait laisser penser que la question des options réelles était propre aux sociétés avec des processus de décision stratégique particulièrement structurés. Nous montrons pourtant que les PME y sont également sujettes, même s’il doit être présenté, dans les PME, sous un angle davantage perceptuel et intuitif.
Troisièmement, cette étude fournit des éléments sur les variables explicatives du raisonnement optionnel, et met empiriquement en évidence le fait que la mise en œuvre d’un raisonnement optionnel est étroitement dépendante d’une conception des projets en termes d’alternatives. Dit autrement, le raisonnement par options réelles sera d’autant plus présent que les managers ont tendance à penser leurs projets sous forme d’arborescences, de bifurcations, ou même de possibilités parallèles. De même, le niveau d’incertitude, qui est théoriquement important dans le recours aux options réelles. Le niveau d’incertitude apparait lui ainsi comme un prédicteur, sauf pour les options de séquençage. Une explication possible à ce résultat tient à ce que les options de séquençage apparaissent surtout utiles dans le cas d’une incertitude inhérente au projet tandis que nous nous sommes focalisés sur une incertitude environnementale.
Enfin, il est mis en évidence qu’un effet partiel de l’horizon temporel est limité, contrairement à l’importance que lui accorde la théorie des options réelles. Ce résultat qui peut paraitre surprenant, signifie peut-être que le raisonnement optionnel peut présenter des intérêts manifestes quelle que soit la temporalité́ envisagée. De même, la prise en compte d’un horizon temporel pourrait être un réflexe si naturel que les décideurs n’ont pas besoin d’effort particulier pour le faire émerger.
Pour conclure avec une interrogation, sur laquelle la littérature future pourra s’interroger, concerne donc les limites du raisonnement optionnel : De quelles précautions un manager qui envisage des choix pour se réserver des possibilités stratégiques futures doit-il s’entourer ?
Dr RAÏS Hassen.
ESSCA School of Management.
[1] Voir « Les managers raisonnent-ils par options réelles ? Une étude exploratoire des déterminants », Marc FRÉCHET & Hassen RAÎS, Revue Management et Avenir, N°106 – Décembre 2018.